LA TOPONYMIE (du grec « topos », lieu et « onoma », nom)
Au carrefour de l’histoire, de la géographie et de la linguistique, la toponymie, ou « science » des noms de lieux contribue à la connaissance du passé. La toponymie s’appuie sur des attestations anciennes contenues dans toutes les sources d’archives disponibles : les vieilles cartes (notamment celles qui vont du XVIIe au XIXe siècle), les plans cadastraux, les mentions transcrites dans les registres juridiques ( cartulaires médiévaux, plans terriers ou actes notariés en particulier), voire – quand cela existe – les inscriptions ou textes de l’antiquité.
Mais, le chercheur doit faire la part des fausses étymologies populaires ou « latines » et ne pas se laisser abuser par les réfections pseudo-savantes forgées par certains scribes, il doit en outre déceler les graphies erronées (cacographies). L’enquête de terrain auprès des informateurs locaux (paysans, chasseurs, personnes âgées…) ne doit pas être négligée et permettre de noter les prononciations exactes ou leurs variantes et de vérifier, grâce à l’observation in situ, les données théoriques. Enfin, l’interprétation finale du nom de lieu ne peut-être étayée que par une étude comparative des radicaux, des suffixes et des structures même des formes, sans oublier que dans le passé comme aujourd’hui, il y a des modes, au demeurant assez pratiques pour identifier certaines générations de toponymes. La question de la notation de la toponymie s’est posée dès l’établissement de la carte de « Cassini » au XVIIIème siècle. Lors de la mise en œuvre de cette carte découpée en 182 feuilles, les opérateurs avaient dressé des listes de noms de lieux, les « états des villes, bourgs et objets dépendants des paroisses », mais pour la moitié des feuilles seulement. L’actuelle carte « I.G.N. » à l’échelle entre 1 :25.000, recèle un patrimoine toponymique très important puisque l’on estime à environ 2 millions le nombre de toponymes portés sur ces cartes. Le domaine de la toponymie est vaste et peut se subdiviser en plusieurs disciplines.
I – LES ORONYMES (du grec « oros », montagne) nom de lieux en rapport avec le relief. Les oronymes constituent avec les hydronymes, que nous verrons plus loin, le vieux fonds du patrimoine toponymique provençal. Ils reposent tous sur des bases dégagées par l’étude comparée des divers héritages européens. On a coutume de les désigner sous le terme de « pré-indo-européen » ou plus prudemment de « préceltique ». Certains ont perduré sous une forme inchangée dans les continuateurs romains et ensuite en provençal (bauma par exemple) ; d’autres devenues incompréhensibles ont été transformées par remotivation (attraction et assimilation aux mots de la langue habituelle) puis souvent affublés d’une fausse étymologie. L’exemple de la montagne Sainte-Victoire est parfaitement clair. Elle s’appelle, dans ses premières attestations « Ventur » peu à peu transformée et opacifiée en « Venturius » puis « Sancte Venturie », « Sainte-Adventure » et enfin « Sainte-Victoire ». Mais « Ventur », « Ventor » en provençal qui émane directement de la forme ancienne « Vinturi » est aussi le nom original du Ventoux ; dans les deux cas, une légende etymologique s’est créée, celle de la victoire de Marius sur les Teutons en 102 avant Jésus Christ, de l’autre, celle du vent, qui aurait donné son nom au Ventoux. Or, « Ventur » (ou « Vinturi ») vient lui-même de deux racines pré-celtiques « ven » (ou (« vin ») et « tur », tous deux désignant une hauteur.
Il en résulte ainsi que beaucoup d’oronymes sont des pléonasmes puisqu’à un nom signifiant hauteur ou mont, on rajoute un générique de même sens.
II – LES HAGIONYMES (du grec « hagios », Saint) –nom de lieux en rapport avec la sainteté. Saints tutélaires traditionnels et hagionymes à caractère local – parfois pittoresques- servent de trame à une strate toponymique remontant aux premiers siècles du second millénaire. A Saint Martin, (évangélisateur de la Gaule qui a donné son nom à 238 communes), suivi par Jean (171), Pierre (162), Germain (127), s’ajoutent les noms des premiers martyrs et des évêques, témoins des premiers pas de l’Eglise sans oublier les différents apôtres, et autres évangélistes…On ajoutera que Saint(e) est parfois remplacé par « Don », « Dom », « Dan » ou « Dame ». En comptant tous les Saint(e) s, les dams (dames) ou dons, sans oublier les toponymes bretons commençant par exemple par « Loc », environ 5000 communes sont dédiées à des Saints sur les 36497 que compte notre pays. Sur Bédoin, quelques hameaux sont concernés – Sainte-Colombe- par exemple, de l’Eglise du même nom dont la construction est datée de 1683, érigée en paroisse en 1791 et agrandie en 1887 ; Colombe, donc, jeune fille née en Espagne d’une famille royale et de parents païens , consacra sa vie à Jésus Christ. Avec quelques fidèles, elle prend le chemin de la Gaule pour recevoir le baptême à Vienne, en dauphiné (peut-être s’est-elle arrêtée à Bédoin ?), modèle de courage et de pureté dit-on…, cette demoiselle subit le martyre le 31 décembre 274 pour affirmer sa foi et conserver sa virginité.
III – LES HYDRONYMES (du grec « hydros », eau) – nom attribué à un lieu caractérisé par la présence permanente ou temporaire d’une eau douce ou salée. Région de montagne, de roche et de sécheresse, la Provence est un pays où l’eau est à la fois précieuse et partout présente (en témoignent plus de 600 noms de lieux-dits). La moindre source a donc retenu l’attention des habitants et a servi à nommer prioritairement sur d’autres caractéristiques, de multiples lieux.
Un des plus connus, le nom latin « fons, fontis », source, a donné en provençal les formes « font », désignent principalement une source naturelle. Par extension, il désigne aussi une fontaine, cette source habillée par l’homme ou parfois artificielle qui est si fréquente dans les villes et villages de la région. Mais, c’est au sens de « source naturelle » que le mot est employé dans la toponymie et caractérisé par la plupart du temps par un adjectif.
Par exemple, une des entrées des « hauts de Bélézy » a été baptisée par les promoteurs « entrée fontcouverte ». Or, ces derniers n’ont pas fait preuve de beaucoup d’imagination en se contentant de reprendre le nom d’une source située au Nord du Domaine près d’un hameau du même nom. La désignation correspond bien à son appellation « couverte » ; en effet, issue du latin « coopertus », elle est creusée en forme de conque dans une cavité rocheuse.
IV – LES HODONYMES (du grec « hodos », route) – nom de lieux en rapport avec des voies de circulation, routière, ferrovière ou autres … mais, également avec des rues. Pendant des siècles, ces dernières ont tiré leur nom du lieu vers lequel elles menaient (à Bédoin, rue du castelan, de castel, en provençal, château du latin castellum, du métier qu’on y pratiquait (chemin des terraillers, du provençal « terrailhaire », potier), d’un personnage important qui y habitait (impasse et rue Eymard, là où est situé à Bédoin la maison natale et l’hôtel de J.P.C. Eymard, maire de 1858 à 1870 et promoteur du reboisement du Ventoux), mais également d’un bâtiment qui s’y trouvait (le chemin des Granges, du provençal « granjo », ferme, équivalent de mas, du latin « granica » lieu où l’on range le grain) ou encore de l’origine de ses habitants (rue des Auvergnats, utilisant le dialecte occitan du même nom, parlé dans une partie du massif central).
Puis, sous la monarchie de juillet, on a recommandé aux communes de donner à leurs rues des noms de batailles victorieuses : d’où les nombreuses rues de Wagram ou de Marengo (à ma connaissance à Bedoin, le message n’est pas passé…).
Par la suite, ce furent les personnage célèbres que l’on conseilla d’utiliser (à part le Général De Gaulle qui s’est vu attribuer une place, les personnalités locale ont été privilégiés. Parmi les plus connus, Henri et Jules de la Madeleine.Henri (1825-1887) vécut au domaine de la Madeleine, aristocrate républicain, prosateur et romancier. Jules (1820-1859) originaire de Carpentras, romancier, psychologue. Enfin les références ovonymiques sont fréquentes en région montagneuse et Bedoin ne fait pas exception :rue coste froide, « coste », du latin « costa », pente, penchant d’une montagne, par extension : hauteurchemin de Piebonnau, « Pié » du latin « podium », colline, éminence de terrain suivi d’un patronymechemin du Piemont …
V - LES MICROTOPONYMES :
Désignent un lieu ou un espace restreint généralement dans le cadre d’un territoire communal ou anciennement paroissial en rapport principalement avec la terre. Ceux-ci sont de nature très diverse : les uns ont trait à la géographie physique (relief, nature du sous-sol et du sol…), d’autres à l’utilisation humaine des dits lieux (le parcellaire, les activités économiques, l’emprise sociale…)
Nombreux sur Bedoin, certains de ces microtoponymes ont été attribués à des quartiers, lotissement ou hameaux :Quartier (la) « feraille » signifiant bonne terre situé près du village médiévalQuartier les « Molles », du latin « mollaria » , lieu mou qui désigne au départ soit un champ cultivé où coulent des sources, soit plus globalement un terrain humide.Quartier le « Pati », de « pati » pâturage communal mais également dépotoir…Quartier les « Terriers », carrière d’ArgileQuartier les « Condamines », du latin « condamina », champ à plusieurs seigneurs ou du provençal (ancien régime) « coundamina » : terre co-seigneurale appartement en indivision à plusieurs nobles et libres de toutes taxes.Quartier les « sablières », Quartier la « sablas »
VI – LES DENDRONYMES (du grec « dendron », arbre) nom de lieux en rapport avec les arbres et les forêts :Quartier « Grande Garrigue » qui indique une dégradation de la forêt de chêne vert sur substrat calcaire, du celte « garric » arbre du rocher qui désigne une formation broussailleuse composée d’arbustes et de plantes herbacées sur calcaire (par exemple : chêne Kermès…)Quartier de la « Blache », de « blaco » en provençal, issu d’une racine germanique « blak » en français chêne blanc ou pubescentQuartier l’ « Aglanière », du provençal « aglaniero », aglandier, chêne à gland en françaisQuartier de l’ « ouveirette », lié au chêne yeuseQuartier les « Sauviers », du latin « silva », qui donna « sauva » signifiant forêt au sens collectif.
VII – LES MACROTOPONYMES : ce sont des noms d’habitants relativement groupés (ville, bourg, village, hameau…). Comme Bédoin par exemple, beaucoup d’hypothèses sur son origine mais aucune certitude… risquant d’être un peu long sur le sujet, je me contenterai aujourd’hui de l’étymologie de quelques hameaux sur les 22 existant sur la Commune et qui représentent plus de la moitié de la population.
le hameau des « Baux », à l’origine une ferme, pavillon de chasse de Barral des Baux et un arrière-fief de ce nom d’autres portent le nom patronyme de leurs fondateurs beaucoup moins célèbres : - hameau des «Clops », « Constants », la « Bernarde », « Jean-blancs », « les Bruns »… et un dénommé « Fatigon », en 1632, la peste fait rage, Siffrein DAUBERTE dit « Fatigon » s’installe à la campagne et construit ce qui deviendra un hameau où l’on cultive le blé, la garance et on élève des moutons. Ses descendants construisirent deux bergeries, les « melettes » et le « Cros ». Le hameau attendra 1974 pour être alimenté en eau potable, une source importante avait pourtant été découverte en 1920, la source de fuveillère (site archéologique, canalisations de poteries).
On pourrait y adjoindre des éléments précis du paysage érigés par l’homme (par ex : un calvaire) à souligner que des habitants ont pu disparaître ou laisser trace dans le nom d’un lieu-dit, le quartier le « Rougadou » tire son ,nom de la présence d’un oratoire (« rougadou » en provençal)le quartier le « Barry » de l’existence d’ancien rempart (« Barri », en provençal). La liste des toponymes n’est pas exhaustive, on pourrait parler également des domonymes (noms de maisons), des éthonymes (noms de nations ou peuples), des féodonymes (noms de fiefs) ou encore des anthroponymes (noms de lieux en rapport avec celui des personnes…)
Faire de la toponymie c’est tout simplement le plaisir de savoir où l’on est mais également une nécessité pour celui qui veut retrouver le bon chemin…
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